Faut-il employer virologiste ou virologue ?

La COVID-19 est une maladie virale, due au coronavirus 2 du syndrome respiratoire aigu sévère (ou SARS-CoV-2). C’est pourquoi l’on parle beaucoup, en ces temps de pandémie, des virologues, ces spécialistes des virus et des maladies virales, c’est-à-dire de la virologie. Souvent aussi, on rencontre le terme virologiste. D’où deux questions qui viennent d’abord à l’esprit :

  • L’un de ces deux termes est-il un barbarisme ?
  • Y a-t-il une différence entre virologue et virologiste ?

 

Deux suffixes pour former les noms de savants

Une simple consultation du Larousse en ligne permet de répondre à ces deux questions d’un seul coup : les deux termes sont admis, virologue et virologiste sont tout simplement synonymes.

En français, deux principaux suffixes permettent de former les noms de savants à partir des noms de science en -logie : -logue (qui sert aussi à former des noms de formes ou de parties de discours) et -logiste. Outre virologie, beaucoup d’autres noms de disciplines ou de sciences en -logie ont donné des noms de spécialistes en -logue et en -logiste. Les dictionnaires admettent ainsi bactériologue et bactériologiste, dermatologue et dermatologiste, endocrinologue et endocrinologiste, laryngologue et laryngologiste, oncologue et oncologiste, ophtalmologue et ophtalmologiste, etc.

Cette coexistence de deux synonymes n’est toutefois pas une règle. Pour d’autres disciplines, en effet, il n’existe qu’un seul nom de spécialiste, soit en -logue (infectiologue, cardiologue, cancérologue, gynécologue, odontologue, phlébologue, etc.) soit en -logiste (embryologiste, épidémiologiste, immunologiste, etc.).

Lorsque deux noms de spécialistes coexistent, c’est l’usage qui fixe une préférence pour l’un ou l’autre. Mais, parfois, il ne tranche pas en faveur de l’un ou de l’autre. C’est le cas pour virologue et virologiste. D’où une troisième question…

 

Pourquoi ces deux synonymes, qui ne diffèrent que par leur suffixe, coexistent-ils ?

Pour tenter de répondre à cette question, formulons deux hypothèses, ou plutôt deux nouvelles questions.

 

L’un est-il antérieur à l’autre ?

Virologue et virologiste sont tous deux dérivés de (et donc postérieurs à) virologie, qui apparaît en français en 1945. Notons au passage que virology est attesté dès 1935 en anglais. Cette année-là, alors que les recherches sur plusieurs virus (influenza, fièvre jaune, etc.) vont bon train, l’américain Wendell Meredith Stanley parvient à cristalliser celui de la mosaïque du tabac.

Les progrès effectués grâce au microscope électronique (Siemens commercialise les premiers en 1938) permettent à cette discipline de se détacher de la bactériologie. La virologie accède au rang de science clinique grâce à l’isolement, la culture et la réplication in vitro des virus, à commencer par celui de la poliomyélite en 1949. En 1951, virologue apparaît dans la langue française, suivi de virologiste en 1955.

Virologiste est donc postérieur à virologue. Sachant que l’OMS a été créée en 1948, que l’anglais est depuis longtemps la langue scientifique internationale et que la traduction anglaise de virologue est virologist, il est tentant d’imaginer que ce virologiste vient peut-être d’outre-Manche, voire d’outre-Atlantique.

 

Virologiste est-il un anglicisme ?

En anglais, les noms de spécialistes d’une science en -logy se forment à l’aide de l’élément formant -logist (ou du suffixe -ist). Contrairement à ce qu’on observe en français, l’élément -logue (-log en american English) ne sert que rarement à former des noms de spécialistes. Mes recherches ne m’ont permis de n’en trouver que deux : philologue et sinologue. Tous deux ont d’ailleurs un synonyme en -logist et viennent… du français. En anglais, -logue sert presque exclusivement à former les noms de formes ou de partie du discours (dialogue, monologue, prologue…) et ces noms viennent généralement (toujours ?) de l’anglo-normand ou du français médiéval.

En somme, on pourrait croire que tous ces noms de scientifiques en -ist ont influencé le français. Rien ne me permet pour l’instant de l’affirmer. Ce ne serait d’ailleurs qu’un épisode de plus dans l’histoire des échanges entre ces deux langues, puisque -ist vient du français -iste (lui-même issu du grec via le latin).

 

Quelle est la tendance actuelle ?

 

Depuis le début du XXe siècle

Il existe peut-être une certaine uniformisation du langage scientifique international par l’influence des noms anglais en -logist sur les noms français en -logiste au détriment de ceux en -logue. Cependant, cette tendance n’est pas prépondérante. Depuis le début du XXe siècle, les nouveaux noms de spécialistes en -logue sont même les plus nombreux en français.

« On constate que les formes les plus anciennes sont souvent en -logiste. Vers la fin du XIXe siècle, un équilibre s’est établi entres les formes en -logue et en -logiste et, depuis le début du XXe siècle, on crée le plus souvent des formes en -logue. Dans certains cas, l’usage a hésité. Au XIXe siècle, on trouve anthropologiste [1808] et anthropologue [1865]. Bactériologiste a été créé au XIXe siècle, bactériologue au XXe siècle, etc. »
Précisions aimablement fournies par le Service du dictionnaire de l’Académie française, par e-mail le 14/04/2020 (j’ai ajouté les dates entre crochets).

L’usage actuel plaide pour -logue

Historiquement antérieur à virologiste, virologue est donc représentatif d’une tendance apparue au XXe siècle, au cours duquel les néologismes en -logue ont été plus nombreux que les néologismes en -logiste. On peut classer les noms de spécialistes selon les trois catégories suivantes, elles-mêmes classées dans l’ordre décroissant :

  1. forme en -logue seulement ;
  2. forme en -logiste seulement ;
  3. paires de synonymes : forme en -logue et forme en -logiste.

Cet ordre correspond à la réalité actuelle, qui sera peut-être différente dans quelques années. En additionnant les catégories 1 et 3, il ressort que les formes en -logue sont actuellement plus nombreuses que les formes en -logiste.

Avec la modernité, la tendance est au plus rapide et donc au plus court, d’où le succès des formes en -logueune syllabe de moins que les formes en -logiste ! Cette tendance avérée est telle que certains termes en logiste se sont effacés devant leur synonyme en -logue. Par exemple, toxicologiste (attesté en 1865) a disparu des dictionnaires actuels, l’usage ayant imposé toxicologue (1842).

Dans l’usage actuel, beaucoup de noms désignant des spécialistes sont même abrégés (dermato, gynéco, ophtalmo, oto-rhino…) pour aller encore plus vite. Cette tendance semble toutefois limitée aux spécialistes qu’un patient peut consulter couramment. Il paraît donc peu probable qu’elle puisse s’appliquer à virologue

L’usage étant roi, nul ne peut augurer des tendances qui se dessineront au XXIe siècle. De plus, les corpus permettant de les établir (dictionnaire de l’Académie française, Trésor de la langue française informatisé) ne peuvent coller à l’actualité. En l’absence de baromètre de l’usage, les formes en -logue semblent pour le moment des valeurs sûres.

Conclusion

Ni virologue ni virologiste ne sont pas des barbarismes : ce sont juste deux synonymes concurrents. Toutefois, le plus court des deux devrait s’imposer si se confirme la tendance en faveur des noms en -logue.

En cas de doute, ou pour prévenir un éventuel barbarisme, n’hésitons pas à (télé)consulter un dictionnaire récent, tout en gardant à l’esprit que les différents dictionnaires ne sont pas toujours d’accord entre eux et que l’usage évolue avec le temps…

admin8600

Musicienne et traductrice de formation, amoureuse des mots depuis toujours, je suis venue à la rédaction et à l'écriture par le biais de la traduction.

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